Dans un contexte économique tendu, où les incertitudes et les défis sont nombreux, les levées de fonds se font de plus en plus en rares. Ce phénomène amplifie la pression ressentie par les entreprises quant à leur capacité à mobiliser des ressources financières externes, devenant alors un enjeu majeur et obligeant les start-up à se surpasser pour se distinguer et attirer des investisseurs prêts à financer leur croissance. Pourtant, derrière la carapace dorée qui entoure ces collectes, se cachent bien d’autres facettes. Craintes, pression des résultats et remises en question sont autant de sentiments insécurisants que traversent les fondateurs dans les mois qui suivent et qui viennent assombrir la lune de miel tant attendue. Bien que la partie en amont de l’obtention de la levée de fonds soit une période importante et stressante, il n’en est pas moins pour les semaines suivant l’annonce. En effet, une fois l’euphorie des premiers instants passée, c’est bien souvent la douche froide pour les entrepreneurs qui ont le sentiment d’être redevable, venant ternir le paysage les premiers mois. Pourtant, les levées de fonds représentent indéniablement un tremplin dans la vie des jeunes entreprises et ne doivent pas être diabolisées, bien qu’il existe des alternatives non dilutives et d’autofinancement. Ainsi, tel un véritable parcours du combattant, la levée de fonds est-elle la seule option de réussite des start-up ?
Un contexte économique mondial tendu, qui met fin à l’abondance
Les start-up, souvent caractérisées par leur innovation et leur agilité, peuvent apporter des solutions nouvelles et disruptives sur le marché, suscitant considérablement l’intérêt des investisseurs en quête d’opportunités de placements. Leur capacité à se développer et à prospérer dépend en grande partie de ces aides financières et en ce sens, l’obtention d’une levée de fonds devient alors un véritable challenge. Cependant, dans un climat économique incertain, les financeurs sont souvent plus prudents et réticents à prendre des risques. Face à une plus grande sélectivité des investisseurs, les start-up ont intérêt à multiplier les efforts pour sortir du lot et les convaincre. Entre autres, elles doivent démontrer la viabilité de leur modèle économique, la pertinence de leur offre sur le marché et leur aptitude à générer des revenus à long terme, afin que les investisseurs perçoivent en elles un potentiel de croissance et de rendements importants.
La période post-COVID a été marquée par de nombreuses opportunités d’investissement dans les start-up et jusqu’au deuxième semestre 2022, la France affichait des records de fonds levés, alors que tous les autres marchés du monde expérimentaient une chute spectaculaire. Malheureusement, il n’aura fallu que de quelques mois supplémentaires pour que l’écosystème français subisse le même sort. Ainsi, depuis le deuxième semestre de 2022, nous assistons à un recul des investissements avec une chute brutale au premier trimestre 2023.
Les start-up françaises ont levé seulement 1,36 milliard d’euros sur les trois premiers mois de l’année, soit une diminution de près d’un tiers par rapport au dernier trimestre de 2022, et de 70 % par rapport aux douze premières semaines de l’an dernier.
Cette baisse drastique des montants levés par les jeunes pousses de l’hexagone, et ce sur la quasi-globalité des secteurs d’activité, est très largement insufflée par le repli des fonds américains. En effet, toujours d’après Newfund, la grande majorité des acteurs américains s’est retirée du marché français, entraînant une chute des tours de tables recensés, et majoritairement ceux de plus de 50 millions d’euros. Une situation d’autant plus inquiétante pour les jeunes entreprises, surtout lorsque l’on constate la dure réalité de l’entrepreneuriat. En effet, selon l’INSEE, en 2019, seules 61 % des entreprises étaient encore actives cinq ans après leur création, un chiffre qui tombe à 37 % pour les microentreprises. Dans cette dynamique complexe, les start-up sont conscientes de la nécessité de diversifier leurs sources de financement, ou bien de repenser la façon dont elles utilisent leur trésorerie, afin de traverser cette période difficile, de façon pérenne.
La levée de fonds : à quel prix ?
Les financements externes sont bien souvent essentiels pour soutenir la croissance et le développement des start-up. Ils permettent notamment d’investir dans la R&D, d’embaucher du personnel qualifié, de développer des infrastructures et de pénétrer de nouveaux marchés. Aussi, les fonds levés servent à renforcer la capacité financière de l’entreprise et à se prémunir contre les périodes difficiles. Bien que le succès d’une start-up ne se résume pas uniquement à sa capacité à lever des fonds, lorsqu’elle reçoit un financement externe, son potentiel est avéré et sa crédibilité est grandement renforcée, ce qui peut enclencher un cercle vertueux.
Obat a fait un round de seed de 6 millions d’euros fin 2021. Après avoir bootstrapé pendant la première année et demi, avec l’aide de business angels, nous avons décidé de faire une levée avec des fonds professionnels. Cette décision n’était pas motivée par la nécessité, notre produit avait une très belle croissance, mais plutôt par l’opportunité qui était en face de nous. Nous avions une position de leader en termes de croissance et de technologie sur le marché des petites entreprises et voulions accroître cet avantage dans un contexte où le gagnant prend en général de très grosses parts de marché.
Florent Liagre, fondateur de Obat, logiciel de gestion pour les entreprises du bâtiment
Lorsqu’un tour de table se concrétise, une certaine euphorie entremêlée avec une forme de soulagement se fait ressentir. D’autant plus que durant cette course à l’investissement, dans la plus majeure partie des cas, un des fondateurs a pris le rôle de leveur de fonds auquel il a dévoué beaucoup de son temps.
Cependant, il est intéressant de se concentrer sur « l’après », phase bien moins souvent anticipée, et d’analyser la façon dont les dirigeants desdites jeunes pousses se sentent une fois l’excitation retombée. Une période dans la vie des entreprises bien moins alimentée, sur laquelle s’est concentré le pôle innovation du Groupe TGS France, en sollicitant le cabinet d’études TMO, pour la réalisation d’une étude auprès de start-up ayant levé des fonds.
Fondée sur le ressenti de 120 dirigeants de start-up ayant toutes bénéficié d’un financement externe, l’étude met en exergue l’existence d’un marathon en trois temps, qui s’accompagne d’expériences communes vécues par les interrogés : pression des résultats, compte à rendre aux investisseurs et sous-dimensionnement des fonds.
Durant les trois premiers mois, l’euphorie est encore omniprésente, et les dirigeants sont en phase de réflexion quant à leur entreprise, avec une sérénité financière certaine. 63% des interrogés ont la sensation de devoir tout mener de front : comment on se développe, quelle structure on adopte, quelles décisions on priorise, etc. En parallèle, les premières difficultés se font ressentir, et notamment au niveau RH, avec des recrutements compliqués pour 41% des dirigeants. Malheureusement, ils ne dérogent pas au phénomène qui frappe le marché de l’emploi en France comme en témoignent les dernières données de l’enquête mensuelle de conjoncture de la Banque de France : plus de la moitié des entreprises tricolores (52%) déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement en mars 2023. Également, la pression des résultats commence à se faire sentir pour 40% des dirigeants.
Une fois les six premiers mois passés, les start-up sont dans une phase où elles doivent rendre des comptes et justifier de leurs choix, pour rassurer les investisseurs et démontrer que les bonnes décisions sont prises. Face à cela, 43% ont une difficulté à gérer la pression des résultats. Une perte d’autonomie se fait également ressentir, les dirigeants regrettant la multiplication des processus et la diminution de l’agilité.
Au bout d’un an, les start-up sont à même de faire un premier bilan et de prendre du recul sur les douze mois qui viennent de s’écouler. L’occasion de revenir sur les décisions prises, les résultats qui s’en sont suivis, la répartition des fonds, l’évolution de l’entreprise, etc. La pression est toujours bien présente pour 35% des dirigeants, tout comme le sentiment persistant de devoir tout mener de front pour 32% d’entre eux. Après une année complète, c’est également le moment d’analyser le montant de la levée de fonds en lui-même, et pour 40% des start-up, celui-ci s’avère être sous-dimensionné. De plus, après un an, 26% des dirigeants rencontrent des difficultés de trésorerie. Cela peut s’expliquer par l’engouement des dirigeants post levée de fonds, qui ont souhaité tout mettre en place le plus rapidement possible, sans forcément consciemment prioriser : le recrutement, la R&D, etc. Face à tous les projets lancés, une deuxième levée de fonds serait bénéfique pour soutenir l’activité. En parallèle, durant la première année, les start-up et les investisseurs ont pu tisser des liens durables, réellement utiles quant à l’avenir des sociétés.
Au regard de ces données, il apparaît évident que les mois suivant la levée de fonds sont réellement mouvementés : pression accrue des résultats, familiarisation souvent complexe avec les investisseurs, priorisation des actions à mettre en place, difficultés de recrutement, etc. Au final, au bout d’un an, tout reste encore à construire et au-delà d’un objectif de croissance du chiffre d’affaires, celui de la rentabilité est encore à mener. Pourtant, le tableau ne doit pas être noirci et pour de nombreuses sociétés, les bénéfices des levées de fonds sont supérieurs aux obstacles rencontrés, comme a pu l’exprimer Florent Liagre.
Nous ne regrettons pas notre décision, nous avons depuis le début une très bonne relation avec nos fonds. Ils nous soutiennent financièrement mais aussi opérationnellement en nous donnant d’excellents insights. D’un point de vue de l’équipe nous avons pu structurer énormément et faire rentrer de nombreux profils talentueux ! Nous sommes aujourd’hui 70 personnes. Côté produit nous avons pu ajouter de très puissantes fonctionnalités et avons énormément de choses impactantes dans notre roadmap 2023. En résumé, malgré un processus intense, il a été aussi très formateur et à notre sens nécessaire afin de réaliser notre vision plutôt ambitieuse.
Florent Liagre, fondateur de Obat, logiciel de gestion pour les entreprises du bâtiment
Rien ne sert de courir, il faut partir à point
Pour un nombre certain de start-up, le rêve ultime serait d’être renommé à l’international, de conquérir sans cesse de nouveaux marchés, d’atteindre le statut de centaure… Et ce, en un minimum de temps. Pourtant, cette envie de croissance exponentielle engendre de nombreuses défaillances qui démontrent la nécessité de ne pas brûler les étapes lorsqu’il s’agit de développement. Il est impératif d’établir les bases et de ne pas se précipiter quant au démarchage de fonds d’investissement. Les start-up doivent anticiper leurs décisions au maximum pour ne pas se retrouver dos au mur, dans le cas les investissements externes suivants ne se dérouleraient pas comme prévu. En parallèle, d’autres entrepreneurs imaginent un avenir construit de manière totalement autonome.
Appelé bootstrapping dans le jargon de la start-up, l’autofinancement représente une alternative séduisante pour les jeunes pousses en quête de liberté. Sans fonds externes, les dirigeants peuvent très vite savoir si leur business model est viable et les conduira à la rentabilité. En se concentrant davantage sur la rentabilité que sur la croissance du chiffre d’affaires, ces entreprises misent sur leur efficacité opérationnelle, leur créativité, leur capacité à créer un modèle d’affaire durable. Enfin, cette voie est aussi choisie par certaines start-up car elle leur permet de garder un contrôle absolu sur leur entreprise. Elles n’ont alors pas à jongler entre l’avis et les ambitions des investisseurs externes. Une décision que Maxime Digue, co-fondateur de Tiime, a pu parfaitement résumer.
Nous avons une vision très long terme de l’entreprise. Nous travaillons pour construire ce qu’elle sera dans 1 an, 5 ans, 10 ans et comptons bien grandir avec elle. Notre motivation principale est la pérennité de l’entreprise, plus que des raisons financières ou une quelconque quête personnelle. Ne pas lever de fonds c’est avant tout un choix de liberté. Cela nous permet de garder la main sur tous les sujets : humain, organisation, management, produit, pricing, tech. On ne doit des comptes qu’à nous-mêmes et à nos clients, ce qui est déjà beaucoup !
Maxime Digue, co-fondateur de Tiime, logiciel de gestion pour les entrepreneurs
Qu’une start-up décide ou non, de faire appel à un financement externe, c’est un véritable marathon qui se présente à elle. Dans un contexte économique tendu, où les ressources financières peuvent se faire rares, les start-up doivent faire preuve d’agilité, de persévérance et d’une solide stratégie pour attirer les investisseurs ou bien se développer de façon autonome. Les levées de fonds représentent une étape cruciale dans le parcours des jeunes pousses, même si elle n’est pas la solution ultime quant à la réussite d’une entreprise sur le long terme. Bien qu’elle leur offre les ressources nécessaires pour soutenir leur croissance, innover et se différencier sur le marché, le financement externe est une véritable source de pression et de remise en question. Les dirigeants doivent donc être conscients des défis qui accompagnent les levées de fonds. Face à une concurrence de plus en plus rude, qui conduit à une sélection accrue par les investisseurs et des attentes élevées, les start-up ont tout intérêt à anticiper différents scénarios.